texte de DESCARTES : « toutes les choses qui sont artificielles sont, avec cela, naturelles
Posté par Valériemarchand le 5 octobre 2011
203. Comment on peut parvenir à la connaissance des figures,
grandeurs et mouvements des corps insensibles.
Quelqu’un derechef pourra demander d’où j’ai appris quelles sont
les figures, grandeurs et mouvements des petites parties de chaque corps,
plusieurs desquelles j’ai ici déterminées tout de même que si je les avais
vues, bien qu’il soit certain que je n’ai pu les apercevoir par l’aide des
sens, puisque j’avoue qu’elles sont insensibles. A quoi je réponds que j’ai,
premièrement, considéré en général toutes les notions claires et distinctes
qui peuvent être en notre entendement touchant les choses matérielles, et
que, n’en ayant point trouvé d’autres sinon celles que nous avons des
figures, des grandeurs et des mouvements, et des règles suivant lesquelles
ces trois choses peuvent être diversifiées l’une par l’autre, lesquelles règles
sont les principes de la géométrie et des mécaniques, j’ai jugé qu’il fallait
nécessairement que toute la connaissance que les hommes peuvent avoir
de la nature fût tirée de cela seul; parce que toutes les autres notions que
nous avons des choses sensibles, étant confuses et obscures, ne peuvent
servir à nous donner la connaissance d’aucune chose hors de nous, mais
plutôt la peuvent empêcher. En suite de quoi, j’ai examiné toutes les
principales différences qui se peuvent trouver entre les figures, grandeurs
et mouvements de divers corps que leur seule petitesse rend insensibles,
et quels effets sensibles peuvent être produits par les diverses façons dont
ils se mêlent ensemble. Et par après, lorsque j’ai rencontré de semblables
effets dans les corps que nos sens aperçoivent, j’ai pensé qu’ils avaient pu
être ainsi produits. Puis j’ai cru qu’ils l’avaient infailliblement été, lorsqu’il
m’a semblé être impossible de trouver en toute l’étendue de la nature
aucune autre cause capable de les produire. A quoi l’exemple de plusieurs
corps, composés par l’artifice des hommes, m’a beaucoup servi: car je ne
reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les
divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des
machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou
ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec
les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et
mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui
causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour
être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des
mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses
qui sont artificielles, sont avec cela naturelles.
Car, par exemple,
lorsqu’une montre marque les heures par le moyen des roues dont elles
est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il est à un arbre de produire
ses fruits. C’est pourquoi, en même façon qu’un horloger, en voyant une
montre qu’il n’a point faite, peut ordinairement juger, de quelques-unes de
ses parties qu’il regarde, quelles sont toutes les autres qu’il ne voit pas:
ainsi, en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels,
j’ai tâché de connaître quelles doivent être celles de leurs parties qui sont
insensibles.
Descartes,
Principes de la philosophie, IVe Partie, article 203
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.