Textes sur l’histoire
Posté par Valériemarchand le 1 avril 2009
en construction
L’histoire est-elle une science?
L’objectivité en histoire implique la « bonne subjectivité » de l’historien
Nous attendons de l’histoire une certaine objectivité, l’objectivité qui lui convient : c’est de là que nous devons partir et non de l’autre terme. Or qu’attendons-nous sous ce titre ? L’objectivité ici doit être prise en son sens épistémologique strict : est objectif ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris et ce qu’elle peut ainsi faire comprendre. Cela est vrai des sciences physiques, des sciences biologiques ; cela est vrai aussi de l’histoire. Nous attendons par conséquent de l’histoire qu’elle fasse accéder le passé des sociétés humaines à cette dignité de l’objectivité. Cela ne veut pas dire que cette objectivité soit celle de la physique ou de la biologie : il y a autant de niveaux d’objectivité qu’il y a de comportements méthodiques. Nous attendons donc que l’histoire ajoute une nouvelle province à l’empire varié de l’objectivité.
Cette attente en implique une autre : nous attendons de l’historien une certaine qualité de subjectivité, non pas une subjectivité quelconque, mais une subjectivité qui soit précisément appropriée à l’objectivité qui convient à l’histoire. Il s’agit donc d’une subjectivité impliquée, impliquée par l’objectivité attendue. Nous pressentons par conséquent qu’il y a une bonne et une mauvaise subjectivité, et nous attendons un départage de la bonne et de la mauvaise subjectivité, par l’exercice même du métier d’historien.
Ce n’est pas tout : sous le titre de subjectivité nous attendons quelque chose de plus grave que la bonne subjectivité de l’historien ; nous attendons que l’histoire soit une histoire des hommes et que cette histoire des hommes aide le lecteur, instruit par l’histoire des historiens, à édifier une subjectivité de haut rang, la subjectivité non seulement de moi-même, mais de l’homme.
Mais cet intérêt, cette attente d’un passage – par l’histoire – de moi à l’homme, n’est plus exactement épistémologique, mais proprement philosophique : car c’est bien une subjectivité de réflexion que nous attendons de la lecture et de la méditation des oeuvres d’historien ; cet intérêt ne concerne déjà plus l’historien qui écrit l’histoire, mais le lecteur – singulièrement le lecteur philosophique -, le lecteur en qui s’achève tout livre, toute oeuvre, à ses risques et périls. Tel sera notre parcours : de l’objectivité de l’histoire à la subjectivité de l’historien ; de l’une et de l’autre à la subjectivité philosophique (pour employer un terme neutre qui ne préjuge pas de l’analyse ultérieure).
Paul RICOEUR
Histoire et Vérité, éd. du Seuil, pp. 23-24
Comment on écrit l’histoire de Paul Veyne: extraits
Faut-il renoncer à croire que l’histoire a un sens?
« Cette espérance en des temps meilleurs, sans laquelle un désir sérieux de faire quelque chose d’utile au bien général n’aurait jamais échauffé le coeur humain, a même eu de tout temps une influence sur l’activité des esprits droits et l’excellent Mendelssohn lui-même a bien dû compter là-dessus quand il a déployé tant de zèle en faveur du progrès des lumières et la prospérité de la nation à laquelle il appartient. Car y travailler pour sa part et pour son seul compte, sans que d’autres après lui continuent à s’engager plus avant dans la même voie, il ne pouvait raisonnablement l’espérer. Au triste spectacle, non pas tant du mal que les causes naturelles infligent au genre humain, que de celui plutôt que les
hommes se font eux-mêmes mutuellement, l’esprit se trouve pourtant rasséréné par la perspective d’un avenir qui pourrait être meilleur, et à vrai dire avec une bienveillance désintéressée, puisqu’il y a beau temps que nous serons au tombeau, et que nous ne récolterons pas les fruits que pour une part nous aurons nous-mêmes semés. Les raisons empiriques invoquées à l’encontre du succès de ces résolutions inspirées par l’espoir sont ici inopérantes. Car prétendre que ce qui n’a pas encore réussi jusqu’à présent ne réussira jamais, voilà qui n’autorise même pas à renoncer à un dessein d’ordre pragmatique’ ou technique (par exemple le voyage aérien en aérostats), encore bien moins à un dessein d’ordre moral, qui devient un devoir dès lors que l’impossibilité de sa réalisation n’est pas démonstrativement établie. Au surplus il ne manque pas de preuves du fait que le genre humain dans son ensemble a, de notre temps par comparaison à celui qui précède, effectivement progressé de façon notable au point de vue moral (de brèves interruptions ne peuvent rien prouver là-contre), et que le bruit qu’on fait à propos de l’irrésistible abâtardissement croissant de notre temps provient précisément de ce que, monté à un degré plus élevé de moralité, il a devant lui un horizon plus étendu et que son jugement sur ce qu’on est, en comparaison de ce qu’on devrait être, partant, le blâme que nous nous adressons à nous-mêmes, ne cessent de devenir plus sévères, à mesure que nous avons déjà gravi davantage de degrés de la moralité dans l’ensemble du cours du monde venu à notre connaissance ».
Emmanuel Kant, « Sur l’expression courante: il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien » (1793),trad. L. Guillermit, Éd. Vrin, 1980, pp. 54-55.
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